Mue par une réflexion pédagogique toujours en ébullition, l’équipe d’ ALM-Formation s’est entretenue avec plusieurs référents intégrité scientifique afin d’explorer cette fonction encore peu connue, mais ô combien importante.
Henri Maitre, professeur émérite de Télécom Paris & Institut Mines Télécom, s’est rendu disponible pour expliquer ce qu’être RIS signifie .
Premier volet d’une enquête.
Laurence Moss – Quel est le rôle du Référent Intégrité Scientifique?
Henri Maitre – Le RIS est une personne hors-hiérarchie, placée auprès du/la Chef·fe d’établissement pour l’aider à ancrer l’établissement dans une pratique intègre de la recherche. Ses missions couvrent :
- La formation et l’information, tant des doctorant·e·s que des chercheurs et chercheuses en poste
- La prévention des méconduites en proposant à l’établissement des actions et des procédures adaptées à l’évolution des pratiques de la recherche,
- L’instruction des méconduites en vue d’établir les responsabilités et les rôles des acteurs, et de soumettre au/à la chef·fe d’établissement les éléments éclairant sa décision pour les sanctionner.
Le RIS est de préférence un chercheur expérimenté ayant assumé des responsabilités dans de nombreuses fonctions de la recherche. La position hors hiérarchie, qui réduit les risques de partialité ou les conflits d’intérêt, désigne tout particulièrement les chercheurs à la retraite (en particulier les « émérites »)
Les RIS interviennent de plusieurs façons : ils peuvent répondre à la demande d’un·e doctorant·e, d’un chercheur ou une chercheuse, à celle de la direction de l’établissement, ou bien encore se saisir directement d’un problème identifié, par exemple, lors de la publication d’un article dans lequel n’est pas mentionné un conflit d’intérêt. La confidentialité est, bien entendu, assurée.
La réflexion sur l’intégrité est très poussée dans de nombreux pays : le Japon, Singapour, l’Australie, le Canada, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, ainsi bien sûr qu’en Europe qui conduit une action très coordonnée. En France, cette réflexion est sous l’impulsion de L’OFIS, branche spécifique de l’HCERES.
Laurence Moss - Depuis quand existe-t-il ?
Henri Maitre – Cette fonction a été créée à la suite du décret de décembre 2021 (voir ci-dessous), et j’ai moi-même commencé en mai 2022. Je suis présent sur place environ une journée par semaine mais joignable par mail et par une boîte aux lettres spécifique disponible sur le site de l’établissement.
« Décret n° 2021-1572 du 3 décembre 2021 relatif au respect des exigences de l’intégrité scientifique par les établissements publics contribuant au service public de la recherche et les fondations reconnues d’utilité publique ayant pour activité principale la recherche publique… Dans ce cadre, le décret prévoit notamment la création d’une fonction de référent à l’intégrité scientifique et précise les missions qui lui incombe en vue d’assurer le respect des exigences de l’intégrité scientifique.
Références : le décret peut être consulté sur le site Légifrance (https://www.legifrance.gouv.fr).
Pour appliquer efficacement les recommandations du décret, nous avons ainsi créé à l’Institut Mines-Télecom, un réseau de RIS délégués agissant dans chacune des écoles, mais en dernier ressort, c’est le RIS de l’IMT qui est responsable devant le/la chef·fe.
Laurence Moss - Quelle est la genèse de la démarche ?
Henri Maitre – La démarche a été mise en place par la direction de la recherche de l’IMT pour doter l’établissement d’une structure adaptée à réagir en cas de méconduite et éviter des errements que l’on a pu constater dans certains établissements lors de cas passés de méconduites.
Laurence Moss - Pourquoi avez-vous voulu tenir ce poste?
Henri Maitre – Le poste m’est d’emblée apparu comme particulièrement important pour aider à l’émergence d’une recherche honnête et fiable. Il promettait des discussions gratifiantes avec les jeunes chercheurs. J’ai constaté qu’après l’expérience très singulière du Covid, il était nécessaire de les accompagner dans l’apprentissage de leur métier. Enfin, il m’a semblé que j’avais les compétences pour tenir ce poste.
Laurence Moss - Votre porte est-elle ouverte à chacun ?
Henri Maitre – Oui, bien sûr, et chacun peut me contacter à mon adresse email ou via la page disponible sur le site de l’IMT.
Laurence Moss - Quelles sont les motivations de ces sollicitations et quelles sont les questions posées ?
Henri Maitre – Cela peut concerner des problèmes d’abus d’autorité, la liberté de parole lorsque l’on est salarié·e d’une entreprise, l’indépendance vis-à vis des directeur·rice·s de thèse, les relations avec les anciens professeurs ou les futurs laboratoires d’accueil vis-à-vis de la propriété des recherches.
Nous avons souvent des questions concernant les publications : le choix du journal, en lien avec la Science Ouverte, des problèmes de citations avec un travail antérieur, quand faire une publication, qu’est-ce qu’être responsable d’un article, surtout dans un domaine pluridisciplinaire, car signer l’article signifie que l’on est d’accord avec toutes les conclusions et avec les moyens employés pour les obtenir.
Laurence Moss - Les doctorants ne semblent pas connaître la présence du RIS au sein de l’université. Comment l’expliquez- vous ?
Henri Maitre – Effectivement, le rôle du RIS est encore mal connu, mais ce n’est pas surprenant car l’obligation qu’il soit mis en place dans tous les établissements n’est pas très ancienne et c’est fait en concurrence avec d’autres référents (parité, climat et environnement, harcèlement/diversité, …), entraînant parfois un peu de confusion.
Laurence Moss - Que trouveriez-vous favorable au sein de l’université pour vous faire connaître ?
Henri Maitre – Les cours de formation doctorale, les présentations aux enseignants/chercheurs, les affichages électroniques et papier sont heureusement des occasions de le remettre en lumière.
Laurence Moss - Comment les doctorant·e·s peuvent-ils/elles vous contacter ?
Henri Maitre – En cas de méconduite constatée ou supposée, la première étape serait de passer me voir ou de m’envoyer un email. L’adresse du RIS doit apparaître sur le site de l’université. J’examine la demande pour savoir si elle concerne le RIS c’est-à-dire si elle concerne un manquement à l’éthique ou l’intégrité de la recherche. Si ce n’est pas le cas, j’oriente le demandeur vers le service concerné, école doctorale, RH, référent parité/diversité, etc. Si la plainte est recevable, nous examinons si elle peut être éteinte par une conciliation que nous privilégions toujours, sinon nous indiquons au plaignant comment constituer un dossier d’allégation de méconduite. C’est ce dossier que nous instruisons après le feu vert du/de la chef·fe d’établissement. Cette instruction, conduite par le RIS, est faite autant que possible en associant d’autres RIS à la réflexion de façon à garantir plus d’équité et d’impartialité dans la démarche.
Nous constituons alors un dossier où nous rassemblons toutes les pièces éclairant le problème (ex : carnet de laboratoire, articles, rapports intermédiaires, mails) en contactant toutes les personnes concernées. Un premier rapport est transmis aux protagonistes qui devront nous répondre par écrit. Un rapport final est alors rédigé qui comporte l’analyse du RIS et les réponses des protagonistes. Le RIS conseille et fait des recommandations ; mais c’est le/la chef·fe d’établissement qui est seul·e responsable des suites qu’il/elle donnera.
Le résultat peut être une action scientifique (corriger une publication, retirer un article, produire un correctif) ou une sanction administrative ou parfois, heureusement très rarement, un transfert du dossier à la justice.
Laurence Moss - Quels conseils pouvez-vous donner aux étudiants et à leurs encadrants pour développer la réflexion éthique au sein de leur recherche ?
Henri Maitre – Je n’ai pas de compétences pour enseigner l’éthique de la recherche et mes fonctions m’orientant fortement vers les problèmes d’intégrité. Ceux-ci sont souvent en relation étroite avec l’éthique mais s’en distinguent néanmoins par leur caractère nettement plus pragmatique.
Dans ma présentation aux doctorants je me contente de décrire l’historique de la prise de conscience de l’éthique de la recherche, puis le cadre formel et administratif attaché à l’éthique et enfin l’émergence de l’éthique dans le domaine du numérique. C’est donc avant tout une sensibilisation à la nécessité d’une réflexion éthique dans toute démarche de recherche.
Laurence Moss - Quel message souhaitez-vous transmettre aux étudiants ?
Henri Maitre – Avec la mise en place de RIS dans les établissements, le législateur a comblé une lacune béante dans l’enseignement supérieur et la recherche. Pour les doctorants qui sont confrontés à une pression particulièrement angoissante, ils offrent tout d’abord un conseiller bienveillant qui saura répondre à leurs interrogations en matière de pratique de la recherche puis, éventuellement, en cas de conflit, un observateur impartial qui déterminera les possibles méconduites dont ils ont pu pâtir. Les RIS sont placés auprès du chef d’établissement, mais au service de tous les chercheurs et chercheuses sans considération de leur position dans la hiérarchie de la recherche.
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