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    “En thèse, si tu ne souffres pas, c’est que ce n’est pas une bonne thèse” – série en milieu doctoral 2.B/4

    Série d’articles “En milieu doctoral” – 2.B/4

    Rencontre avec Adèle B. Combes

    Adèle B. Combes
    Crédit photo : Clément Bonnier © Flammarion

    Par son livre, Adèle B. Combes lance une “invitation à parler et à agir pour mettre fin à la souffrance dans la recherche, aux abus de pouvoir et à l’impunité de leurs auteurs”.

    Nous avons répondu à son invitation et Marine Pansu, du réseau ALM formation, l’a rencontrée pour comprendre sa démarche (voir article 2.A), le fonctionnement systémique de la “loi du silence”, du “publie ou péris” à l’université et les solutions envisagées pour réagir face à ces constats (article 3).

     

     

    Ce deuxième article interroge sur le système liant souffrance et mérite en milieu doctoral. Cette thématique est un fil rouge de l’ouvrage Comment l’université broie les jeunes chercheurs.

     

    Alors, En thèse, si tu ne souffres pas, ce n’est pas une bonne thèse” ?

    Marine Pansu - Les différents témoignages que vous relayez décrivent une représentation des chercheurs avec une certaine fascination, des profils de type “génie” qui seraient intouchables. On observe une certaine sacralisation du milieu de la recherche par lui-même. Comment cette image participe-t-elle aux problématiques que vous décrivez, le fameux “publie ou péris” ? 

    Adèle B. CombesDans les différents témoignages que je relaie, il peut y avoir de l’admiration au début, mais on voit bien qu’elle s’étiole et que la parole a quand même du mal à se libérer. Car, au-delà de cette admiration, il y a une notion dévoyée de l’excellence qui met en regard le mérite, la reconnaissance et la souffrance.  

    De nombreux jeunes chercheurs baignent dans un environnement de travail où l’on fait croire que pour être respecté, il faut souffrir. A partir de là, on conditionne le mérite au don de soi et aux sacrifices personnels. Ainsi, quand ils rentrent dans cet environnement, consciemment ou inconsciemment, certains se disent “Si je fais des vagues, c’est que je n’ai pas les épaules, je ne mérite pas ma place et peut-être même que je suis juste trop faible.” A partir de là, se plaindre peut être perçu comme de la faiblesse par soi-même et par les autres.  

    Cette notion de “mériter sa place” est centrale et joue grandement dans la loi du silence qu’il peut y avoir dans certaines équipes de recherche. 

    Je pense que la phrase qui résume le mieux cette culture du mérite/souffrance est celle que l’on ma dite à moi ainsi qu’à de nombreux autres étudiants et jeunes chercheurs : En thèse, si tu ne souffres pas, c’est que ce n’est pas une bonne thèse. Cette phrase à elle seule verrouille toute possibilité de libérer la parole, car souffrir devient ainsi normal et se plaindre revient à soi-disant refuser de faire une bonne thèse. Ce qui, bien évidemment, est totalement faux. 

    Marine Pansu - L’esprit de corps, voire le mandarinat en milieu universitaire, est traité à de nombreuses reprises dans votre livre. Il participe aussi aux blocages de la libération de la parole. Est-ce spécifique au milieu de la recherche ?

    Adèle B. Combes – Je ne pense pas que ce soit spécifique au milieu de la recherche. Mais le milieu professionnel du doctorat est très particulier, étant donné que le statut de doctorant est à la fois un statut professionnel et un statut qui débouche sur un diplôme.  

    Tous les milieux où l’on se coopte et où il y a peu de contre-pouvoirs peuvent être propices au mandarinat et aux abus de pouvoir, comme dans la recherche, la médecine ou la politique par exemple. 

    Dans la recherche, cela prend plus d’ampleur parce que le jeune chercheur dépend de son encadrant ou de son jury de thèse pour obtenir son diplôme et avoir des publications qui lui permettent d’obtenir un poste. 

    Je parle principalement des doctorants dans mon ouvrage, mais les post-doctorants et toutes les personnes précaires (administratifs, ingénieurs d’études, de recherche…) sont bien évidemment concernées. Il existe également des titulaires qui peuvent être mis au placard par des collègues plus influents. 

     

    Marine Pansu - En quoi le mandarinat contribue-t-il à maintenir un système que vous nommez “loi du silence” ?  

    Adèle B. Combes – Le mandarinat déséquilibre encore plus le rapport de force entre titulaire et non titulaire. Ce déséquilibre est criant dans le récit-témoignage de Laurine par exemple. Il y a d’un côté un directeur de recherche établi avec un réseau et une réputation ; de l’autre une doctorante non titulaire, précaire, sans réseau. Jouant sur ce déséquilibre, le directeur de thèse tente d’étouffer les résultats de sa doctorante ; en empêchant la publication de ses articles et de sa thèse, car ces derniers remettent en cause ses propres théories. 

    Le simple fait d’avoir un déséquilibre de forces, sans contre-pouvoir, ralentit l’innovation et verrouille la libération de la parole.  

    Fait intéressant, un article sorti en 2019 intitulé “does science advance one death at a time” aborde indirectement le sujet du mandarinat et des « clans » dans la recherche. Il montre que lorsqu’un grand ponte décède, il y a un regain d’innovation dans le sujet sur lequel il travaillait. Car, volontairement ou involontairement (l’article ne fait pas de conclusion claire là-dessus) on observe un verrouillage des recherches. Autour de lui ou d’elle, il y a des personnes qui gravitent dans le sillage de sa “gloire”, de ses financements, de sa reconnaissance. Donc toute autre recherche contradictoire est moins financée et moins attractive. Cet article montre l’effet pervers d’avoir un grand ponte qui verrouille un champ de recherche. 

     

    En second lieu, le mandarinat interroge le fait de faire corps. L’entraide entre des titulaires ou des personnes avec des intérêts communs peut être positive dans la recherche, mais dans le cas de Laurine et de nombreuses autres personnes, cela est négatif. Chacun couvre les arrières de l’autre… même en cas de situation grave. 

    Quand Laurine avertit la direction d’un harcèlement moral et sexuel, il y a un silence radio. Et ce silence radio se transforme même en enquête, qui a lieu à charge contre elle, l’accusant de plagiat. Ici, même en cas de signalement, les institutions, jusqu’à la direction de l’université, l’abandonnent. C’est ça la loi du silence.  

    Ce mandarinat, ces jeux politiques, de pouvoir, de réseaux réduisent Laurine à être considérée comme une « emmerdeuse » qui risque de déstabiliser un ordre établi. Le mandarin, le chercheur apportant de la reconnaissance à l’université, le directeur de l’université et du labo n’ont pas intérêt à un changement, pour protéger l’image de marque de l’université et pour préserver leur amitié.

    Ce conflit d’intérêt entre en conflit avec le processus de justice. 

    Ce qui pose problème, c’est qu’au moment du signalement par Laurine, il n’y a pas eu de vérification d’un potentiel conflit d’intérêt. Des personnes neutres auraient pu enquêter sur le signalement, mais cela n’a pas été le cas. Laurine n’avait pas connaissance des liens d’amitié entre son directeur de thèse et la direction de l’université. Elle était dans une situation où elle ne savait pas vers qui se tourner. Dans des situations de harcèlement, cela est courant. 

    Pour lutter contre le mandarinat et les conflits d’intérêt, il est important d’avoir des structures indépendantes pour pouvoir accueillir la parole et guider vers une procédure de médiation, d’enquête interne et/ ou de plainte. 

    “Le doctorat n’est pas une épreuve du feu”

    Dans un troisième et dernier article, Adèle B. Combes partage ses préconisations d’actions auprès des différents acteurs du milieu doctoral (directions, encadrants, doctorants).

    ALM formation accompagne les doctorants et doctorantes sur leur méthodologie tout au long de la thèse, pour une expérience réussie.