Marine Pansu, co-gérante d’ALM-formation et formatrice, nous fait le plaisir de partager son expérience, ses valeurs, sa vision ainsi que ses espoirs dans cet entretien avec Laurence Moss, formatrice et animatrice du réseau ALM.
De sa passion pour la pédagogie en passant par une situation de handicap inattendue, à sa conception d’une société inclusive et de l’éthique de la recherche, Marine nous entraine dans une analyse pointue de la société, de la place de chacun·e en son sein, et la façon dont ALM peut y contribuer.
Laurence Moss – Marine, tu es formatrice et cheffe d’entreprise. Qu’aimes-tu particulièrement dans ces deux métiers ?
Marine Pansu – En ce qui concerne la partie formation, j’aime beaucoup l’aspect résolution de problèmes pédagogiques. J’aime trouver des moyens de transmettre des messages et de développer des compétences de manière pertinente, appropriée et dynamique aux stagiaires, tout en gardant en tête l’aspect esprit critique, compétence transversale travaillée dans l’ensemble de mes formations.
Je n’ai jamais imposé un cadre théorique ou méthodologique, mais toujours invité à développer, à tester et à questionner. C’est passionnant !
J’adore l’aspect création pédagogique, et d’ailleurs, cela prend physiquement beaucoup place dans mon bureau avec mon tableau, mes dossiers, mes outils pédagogiques et mes livres !
La deuxième chose, qui me plait, c’est la compréhension du besoin du ou de la stagiaire et la réactivité nécessaire pour s’y adapter. Le bilan collectif que je fais presque systématiquement en début de formation permet d’évaluer le niveau du groupe ainsi que les forces, les manques, les difficultés. Cela permet ensuite d’avoir les informations pertinentes pour pouvoir réagir et s’adapter. Cette adaptation en direct est très appréciée par les stagiaires. On saute des exercices qui pourraient être trop faciles, on ajoute, voire on crée de nouveaux exercices plus pertinents, certains à faire en groupe (pour les besoins collectifs), certains différenciés de manière individuelle (pour les besoins individuels). L’exercice intellectuel est en lui-même intéressant, mais le retour l’est encore plus.
Ecoutés, accompagnés, valorisés, j’ai remarqué que les stagiaires ressortent des formations plus bienveillant·es envers eux-mêmes/elles-même, mais aussi envers les autres.
Apprendre à se connaitre, à évoluer dans un collectif ou un corps de métier, apprendre à écouter les autres, tout cela apporte de l’apaisement et de la constructivité. C’est un plus pour l’individu et pour la société. Identifier ses propres besoins n’est pas facile et l’aborder d’un point de vue collectif est enrichissant.
Sur l’aspect cheffe d’entreprise, le premier point que j’apprécie fortement est d’avoir la responsabilité et la capacité de définir une organisation du travail qui me semble juste et fonctionnelle pour l’ensemble des personnes qui y travaillent. J’ai été soulagée en prenant ce poste de comprendre que pour qu’une entreprise fonctionne, il n’y avait pas besoin d’une hiérarchie autoritaire forte ni de différence de salaires démesurée entre les postes. Il est possible de construire collectivement un fonctionnement d’entreprise basé sur l’analyse et la prise en compte des besoins de chacun·e, humains et financiers. Je suis contente de le constater et de le faire vivre à d’autres. Cela a un impact plus large sur notre société. En effet, comme le montre une partie des études en sociologie des organisations, notre position dans une entreprise a un impact sur notre position politique, notre placement dans la société et ainsi, notre capacité d’agir en tant que citoyen·ne.
Le deuxième point que j’apprécie est d’avoir une liberté et une sécurité financière. Mon appétence pour les mathématiques m’aide à gérer le budget de l’entreprise pour maintenir une bonne santé financière.
Le troisième point, et pas des moindre, concerne les relations humaines : la qualité de la création et la solidarité au sein de l’équipe. Par exemple, voir et accompagner une personne vers l’épanouissement, identifier, valoriser les talents de personnes qui ne le seraient pas forcément dans d’autres contextes ou encore accompagner les équipes pour s’adapter à leurs besoins et difficultés spécifiques est très satisfaisant.
Laurence Moss - Qu’est-ce qui t’a amenée à vouloir faire de la pédagogie ?
Marine Pansu – J’ai grandi auprès d’un frère qui a des troubles dysfonctionnels de l’ordre du mental et qui n’avait pas la capacité de comprendre le monde tel qu’il fonctionne. J’ai dû tout lui expliquer, notamment les relations sociales, humaines, et la communication. Donc, j’ai tout analysé moi-même pour le lui transmettre.
Moi, j’avais une place très valorisée car j’ai toujours été bonne élève, mais mon frère était dévalorisé, maltraité, rejeté. J’ai dû lui expliquer le monde et essayer de le protéger. De ce fait, dès très jeune, j’ai fait de la pédagogie. Pour lui expliquer les choses, mais aussi pour l’expliquer lui aux autres.
À l’âge de 12 ans, j’ai commencé à donner des cours de maths bénévolement aux élèves en difficulté autour de moi. À l’adolescence, j’ai voulu avoir de l’argent de poche, donc j’ai commencé à me faire payer.
Par la suite, mon expérience avec les Éclaireuses et Éclaireurs de France a été très utile, notamment puisque je participais à la préparation et l’animation des activités. Par exemple, lorsqu’est venu le temps de financer notre voyage pour le rassemblement mondial du scoutisme, j’ai organisé, avec mes amis, des anniversaires d’enfants tous les week-ends pendant un an. On choisissait le thème avec les familles, on prenait nos costumes dans une entreprise de location de costumes partenaire et on préparait toutes les activités. Cela a représenté de nombreuses heures de création pédagogique sur-mesure, en équipe.
Par la suite à Science Po Grenoble, j’ai rejoint l’association Les Jeunes Européens-France et ai organisé de nombreux débats, ateliers et formations autour de la citoyenneté européenne. En fin de master, j’ai choisi la formation et m’y suis formée professionnellement. J’ai d’abord été formatrice-consultante en RSE pendant plusieurs années, puis j’ai eu l’opportunité de créer ma propre activité, et après de reprendre ALM-formation puisque Pierre (Belle, fondateur) envisageait de prendre sa retraite et me l’a proposé
En fait, j’ai passé ma vie à faire de la pédagogie.
Laurence Moss - Tu parles beaucoup de travail en équipe. Pour toi, l’intelligence collective, c’est important ?
Marine Pansu – Essentiel.
Quand tu as le temps de mettre en place et d’utiliser l’intelligence collective, le résultat est toujours bien meilleur. À ALM, on essaie de s’organiser en amont pour pouvoir le faire avec un temps de brainstorming, de réflexion, de priorisation, de création et une phase de recul. On teste en formation et on réadapte selon les besoins. On est dans la recherche de l’amélioration continue.
Laurence Moss - Tu m’as fait part récemment de ton envie de coacher également des femmes entrepreneurs de façon bénévole. Pourquoi ?
Marine Pansu – Je constate que ce ne sont pas forcément les personnes qui ont les meilleures idées, en termes de développement durable (au sens de l’ONU) et d’intérêt général, qui sont en position de le faire. L’entreprenariat n’est pas enseigné en dehors des écoles de commerce.
Venant d’autres domaines d’activité, il est difficile de le faire. Il existe des programmes d’aides auprès des CCI ou des agences d’emploi par exemple, mais il faut déjà les connaitre pour les mobiliser. En terme social, si l’on regarde les grandes instances de socialisation, que ce soit l’éducation, la famille, les pairs, le travail ou les médias, les femmes ont plus de difficultés à s’affirmer et à se sentir légitimes.
L’entreprenariat est un domaine qui a longtemps été dominé par les hommes, et même si c’est moins déséquilibré aujourd’hui, on constate toujours une différence, ne serait-ce qu’au niveau des inégalités salariales (que l’on retrouve dans l’inégalité des tarifs de prestations pour les entrepreneurs).
Pour ma reprise d’entreprise, j’ai eu la chance d’avoir l’accompagnement de Pierre, qui progressivement se dirige vers la retraite, et m’a accompagnée dans le processus pendant 1 an et demi avant que je sois nommée gérante. De plus, un service comptable, des services juridiques étaient déjà en place, et donc j’ai pu être largement accompagnée. C’est une chance qui m’a permis d’apprendre beaucoup et c’est aussi ce qui fait que j’aimerais transmettre à mon tour.
Au démarrage d’une activité, on a peu d’argent à disposition, donc solliciter des coachs payants est quasiment impossible. Dans le cadre de la responsabilité sociétale de mon entreprise, j’aimerais aider des femmes et des projets en qui je crois. Je voudrais aider à développer la capacité des femmes à maitriser leurs conditions de travail, leurs conditions financières et les conditions des relations humaines au travail. On constate régulièrement la maltraitance des femmes dans l’environnement du travail donc avoir sa propre activité peut être une solution pour construire ses propres conditions de travail.
J’ai déjà d’ailleurs choisi une première entrepreneure et son projet! Nous commencerons l’accompagnement en octobre 2024.
Laurence Moss - Au milieu de toute cette activité, l’année dernière, tu t’es brutalement retrouvée en situation de handicap, en raison d’une névrite vestibulaire. Comment as-tu traversé cette épreuve ? Et qu’as-tu gardé de cette expérience ?
Marine Pansu – Ce qui était particulier avec la névrite vestibulaire, c’est que du jour au lendemain, sans symptômes préalables, j’ai perdu toute mon autonomie physique. J’ai passé un an à la regagner. C’était un handicap très fort à subir du jour au lendemain. De plus, pendant plusieurs mois, il y avait une incertitude sur la possibilité que je regagne complétement en autonomie et en capacité physique. C’est cet aspect soudain, et ce flou qui ont profondément impacté ma vie personnelle et professionnelle.
Une des plus grosses difficultés a été est le lâcher-prise. Il n’y avait pas le choix. J’étais obligée de lâcher. C’est violent mais, par la suite, j’ai compris que la plupart des choses qui me tracassaient auparavant n’étaient pas si grave que ça. J’ai appris à relativiser. C’est une énorme leçon de lâcher-prise la maladie et le handicap.
C’était dur car je venais officiellement de reprendre ALM, après un an et demi de préparation pour cela. J’avais beaucoup investi dans différents domaines. J’avais peur que tout s’effondre mais ça a été l’inverse, tout s’est renforcé. J’ai trouvé la solidarité et la bienveillance de l’équipe et des partenaires ; c’était merveilleux et sécurisant. Merci.
Prendre des décisions quand on ne tient pas debout, c’est particulier mais je l’ai fait. J’ai progressivement repris confiance. Il me semble que les épreuves de la vie servent à comprendre cela. Un accident peut arriver à tout moment. Il est important de relativiser et de savoir se réinventer avec l’évolution des circonstances. Par exemple, nous avons continué de faire de la création pédagogique sur des gros projets alors que je ne pouvais pas regarder un écran d’ordinateur ! En visio, je te faisais rentrer dans mon cerveau à l’oral pour que tu puisses transmettre pour moi à l’écrit. On l’a fait !
La rééducation était pénible cependant. La difficulté, l’épuisement, la souffrance, tout cela je devais l’associer aux activités qui m’apportaient le plus de plaisir auparavant. Ça a fait beaucoup de bien quand ça a enfin été fini. Ça m’a beaucoup fait apprécier la vie.
Laurence Moss - Tu mentionnes la bienveillance. Es-tu étonnée d’en avoir reçu autant ?
Marine Pansu – Je n’avais pas d’attente car je ne pensais pas que cela puisse m’arriver si jeune. J’ai ressenti beaucoup de soulagement, et j’ai été rassurée du soutien et de la solidarité à ALM. Tout le monde s’est mobilisé. J’ai trouvé beau que, ce que je me mettais en place pour les autres, je pouvais en bénéficier. Ça été une belle leçon d’humilité. Et cela m’a profondément confirmé qu’il est illusoire de penser qu’on n’a pas besoin d’un système de solidarité.
Laurence Moss - À ce sujet, le thème de cette rentrée 2024-2025 pour ALM-formation porte sur l’éthique et l’inclusivité. Cela parait logique avec ton parcours de vie. Comment le mettre en place ?
Marine Pansu – À ALM, on travaille avec et pour le domaine de la recherche et de l’enseignement supérieur principalement. Je crois profondément que, face aux défis sociétaux, la recherche et l’éducation, l’ouverture à la connaissance et l’esprit critique sont les meilleures manières de traiter ces défis communs. Il me parait nécessaire que ces actions collectives soient transdisciplinaires, se réfléchissent de façon éthique et inclusive avec l’ensemble de la société.
D’un point de vue éthique, il en va de notre responsabilité sociétale de réfléchir à quel type de limites on va se mettre dans le domaine de la recherche. Qu’allons-nous faire, pouvons nous faire ou pas, et pourquoi ? Au-delà du légal, qu’est ce qu’on accepte ou non dans notre société, et surtout pourquoi ?
Questionner les choses, se poser des questions, regarder et analyser la réalité, l’impact des avancées technologiques, algorithmiques, des méthodes scientifiques, des perspectives sur les recherches historiques, juridiques, de l’évolution des imaginaires (littérature, artistique)…, tout cela doit être pris en compte.
Je pense que l’avenir de la science est interdisciplinaire. Et ce cheminement doit, il me semble, inclure une réflexion éthique par discipline et transdisciplinaire.
Cette réflexion éthique, ALM a quelque chose à y apporter avec, encore une fois, l’intelligence collective. L’équipe éthique et intégrité scientifique d’ALM est composée de philosophes, de professionnelles de l’esprit critique et de l’interculturalité mais aussi de la communication, du théâtre, toutes ayant une grande connaissance et expérience du milieu de l’enseignement supérieur et recherche. Notre équipe actuelle tourne depuis plus d’un an et les résultats sont très bons ; cette équipe ira encore plus loin. La réflexion éthique est essentielle pour la recherche dans sa démarche de réflexion et d’action sociétale, et ALM peut y contribuer.
En ce qui me concerne, je contribue aux questions d’éthique chez ALM dans ma démarche de réflexion et d’action dans la gestion d’entreprise, mais aussi en formation par mes interventions sur les risques psycho-sociaux, les discriminations, le harcèlement, les violences ou encore la qualité et les conditions de vie au travail. Ces sujets ont un impact dans le domaine de la recherche et de l’enseignement supérieur, comme dans tant d’autres milieux professionnels. Je les questionne dans l’environnement spécifique de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Cette question des risques psycho-sociaux, des violences sexistes et sexuelles, du harcèlement et des discriminations, finalement les questions de domination et de pouvoir dans notre société, prennent place entre éthique et inclusivité. La question de l’inclusivité s’insère dans une potentielle inversion d’un fonctionnement sociétal de domination et d’oppression.
Cette société éthique et inclusive, nous pouvons la ressentir, l’imaginer mais nous ne la vivons pas encore, en tout cas pas complétement. En formation, on peut la questionner en plusieurs étapes : quelle est ma place dans la société ? Quelle place m’est attribuée ? Quelle place ai-je prise ? Quel impact négatif ou positif a-t-elle sur les autres ? C’est un travail de discussion et d’écoute les uns des autres. Cela permet de travailler l’empathie, de se mettre à la place de l’autre, d’étudier son propre comportement, celui des autres, et d’en évaluer l’impact.
Une prise de conscience est la première étape. Il peut être difficile de se remettre en question cependant car cela fait souvent très peur. D’ailleurs certaines recherches ont mesuré que, dans notre société, nous avons tendance à avoir plus peur de la mort sociale que de la mort physique.
Et si on en prend conscience, qu’est-il possible de faire pour avoir plus de compréhension, d’adaptation à l’autre, sans se dévaloriser, afin d’avoir plus d’harmonie et d’équilibre entre les individus ? Comment faire évoluer notre société vers une société dans laquelle “oui” veut dire “oui” et “non” veut dire “non” ? où l’on peut avancer ensemble de manière constructive, sans détruire ? Où l’on prend en compte les différences des un·es et des autres, et on en fait une force plutôt qu’une justification de violence, de harcèlement ou d’exclusion ?
Prendre l’inclusivité comme principe pédagogique transversal dans les formations ALM est une première étape dans ce chemin de réflexion et d’actions collectives sur l’inclusivité. Mais cette année, nous allons plus loin en intégrant l’ensemble de ces questionnements au cœur de nouvelles formations au catalogue. J’ai hâte de voir les impacts du déploiement de formations comme « l’Humain au cœur du doctorat », « L’enseignement inclusif » ou « Éthique et inclusivité ». Nous avons déjà animé quelques séances en 2024, mais en tant que formatrices de chercheurs et de chercheuses, nous savons bien qu’il faut attendre l’accumulation de données pour pourvoir analyser les résultats de manière représentative. Nous ferons un bilan d’ici un an ou deux. On vous tient au courant !
Laurence Moss - En attendant, quel serait ton message final pour les étudiant·es, doctorant·es et agents de l’enseignement supérieur et de la recherche ?
Marine Pansu – Il est tout à fait possible de faire de l’excellente recherche sans souffrir.
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